Un arrêt récent de la Cour de cassation donne une illustration d’un cas d’abus de majorité caractérisé par une augmentation excessive de la rémunération des gérants majoritaires (Cass. Com., 15 janvier 2020, n°18-11.580).
Dans cette espèce, une SARL comptait trois associés-gérants qui détenaient chacun un tiers des parts sociales de la société. Suite au décès de l’un d’eux, ses héritiers avaient invoqué un abus de majorité pour assigner la SARL et les deux cogérants en annulation de la décision de l’assemblée générale augmentant significativement la rémunération des deux gérants et en remboursement des sommes indûment perçues.
Il convient de se rappeler que le droit de participer aux décisions collectives au sein d’une société, et tout particulièrement de voter lors des assemblées générales, est un droit fondamental de l’associé (et de l’actionnaire).
Si l’exercice de ce droit est libre, il ne saurait toutefois dégénérer en abus et les tribunaux tempèrent largement cette liberté de vote par l’application de la notion d’abus de majorité ou de minorité.
Aux termes d’une jurisprudence constante (Cass. Com., 18 avril 1961, n°59-11.394), il y a abus de majorité lorsque :
- La décision adoptée par le ou les associés majoritaires est contraire à l’intérêt social ;
La notion « d’intérêt social » n’a jamais fait l’objet d’une définition légale et peut désigner, notamment, l’intérêt propre de la société, distinct de celui des associés, l’intérêt commun de tous les associés, ou encore la somme de ces intérêts ajoutée aux intérêts des acteurs gravitant autour de l’entreprise (créanciers, fournisseurs, etc.).
2. Et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des autres associés.
Autrement dit, une décision qui ne léserait pas les minoritaires ne constitue pas un abus de majorité.
L’affectation systématique des bénéfices aux réserves constitue, par exemple, un abus de majorité (Cass. Com., 1er juillet 2003, n°99-19328).
L’abus de majorité peut être sanctionné par l’annulation de la délibération litigieuse et/ou l’allocation de dommages et intérêts. Toutefois la Cour de cassation refuse au juge de se substituer aux organes sociaux pour prendre une décision valant vote.
Dans l’affaire aujourd’hui commentée, les demandeurs avaient exposé devant les juges du fond que la rémunération totale des trois gérants était bien moindre comparée à celle allouée aux deux gérants restants, alors que, dans le même temps, le résultat avait pratiquement été réduit à néant, sans politique d’investissement corrélative et qu’il avait été mis fin à la politique habituelle de distribution d’importants dividendes.
L’arrêt d’appel rejette leur demande, retenant que la situation de l’entreprise n’a pas été mise en péril dans la mesure où, si le résultat net comptable était plus faible qu’auparavant, le fonds de roulement restait important par rapport aux salaires versés, dont le montant n’apparaît pas excessif pour chacun des gérants au regard du chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise et de la charge de travail qu’ils avaient dû assumer à deux pour le temps restant de l’année.
La Cour de cassation a censuré cette décision, estimant que les motifs retenus par les juges du fond étaient impropres à exclure que la décision litigieuse avait été prise contrairement à l’intérêt social et dans l’unique but de favoriser les intérêts des deux associés cogérants.